Ben, quoi? |
Vous n’avez donc jamais rien vu
|
Ou c’est-y que vous m’reluquez l’corsage?
|
Allez, les manants, laissez-moi l’passage
|
Et pour la bagatelle on est d’la revue
|
J’les sens, vos regards plantés dans mon dos
|
Mais moi, d’ce quartier j’suis aborigène
|
Ça m’donne bien l’droit d’avoir mon sans-gêne
|
Ça m’donne bien l’droit, l’droit d'être un rien crado
|
C’est vrai, c’matin, je m’suis même pas lavée
|
Je m’suis juste remis un peu d’bleu et d’rose
|
Juste pour maquiller quelques ecchymoses
|
Qu’la nuit dernière un salaud m’a gravées
|
Je m’suis pas brossé les chicots non plus
|
Tiens, pour faire comme si, redonne-moi une bière
|
Qu’est-ce que vous dites vous, là-bas, la rombière?
|
Reculez-vous si vous trouvez que j’pue!
|
Parce qu’il faudrait pas croire
|
Que parce que vous m’voyez
|
Accoudée là et sans adresse
|
Avec tout mon foutoir
|
Débordant de mes paniers
|
Que je n’suis rien qu’une drôlesse
|
Nageant dans sa bière et sa graisse
|
Une simple épave des bas-quartiers
|
Non ! |
Messieurs, vous devez saluer
|
L’impératrice
|
L’archiduchesse
|
La belle-en-cuisse
|
La belle abbesse
|
Celle qui passe comme une déesse
|
Provocatrice
|
Enchanteresse
|
Et qui crache sur votre pitié
|
Encore un petit dernier et pis salut!
|
Y faut que j’reparte vers ces rues en pente
|
Que depuis toujours j’inspecte et j’arpente
|
Comme si j’y cherchais un trésor perdu
|
Mais y a pas d’trésor, y a que d’la chiennerie
|
Des rentiers hargneux et des vilains mômes
|
Qui s' foutent de ma gueule bouffie d’hématomes
|
Et des accrocs béants dans ma lingerie
|
La nuit, j’suis divine, au rouge des néons
|
Fraîche comme les œillets chourés au cimetière
|
Que j’revends pour l’prix d’une rasade de bière
|
Aux travestis d’la rue Germain-Pilon
|
La nuit, c’est là qu’il y a de foutues clartés
|
Quand un jeune clodo me prend pour une pute
|
Ferme les yeux, m’enlace, enfin me culbute
|
Et me laisse heureuse et jambes écartées
|
T’es qui toi d’abord qui s’dit mon ami?
|
Un voyeur ou bien un d’ces ethnologues
|
Qui voudrait m’fourrer dans son catalogue
|
Eh ben, je vais p’t-être te répondre, tiens, j’ai besoin d’un demi
|
C'était y a longtemps…
|
Et pis non, j’sais plus
|
J’préfère la fermer, rester illusoire
|
N'être qu’une légende des plus provisoires
|
Un tag effacé dès qu’il aura plu
|
Une honte qui passe, un cauchemar vécu
|
Une tête de guignol battant la breloque
|
Un épouvantail que le vent déloque
|
Un instant montrant son cœur et son cul |